Conseils d’André Prodhomme : Président du Jury 2013

La poésie, c’est une façon d’être au monde

Tout d’abord osons affirmer que la poésie c’est la vie et la liberté. Si j’ai quelques conseils à donner à un jeune poète, la matrice en sera l’authenticité.

Dans ce chef d’œuvre d’humanité et même de poésie pour vivre  à mon avis,  qu’est Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke, le poète n’engage pas une correspondance épistolaire pour la postérité, il s’engage envers un jeune homme dont la sincérité le touche et  auquel son propre parcours  de jeune homme quelques années auparavant,  l’identifie. Il ne lui donne aucun conseil d’écriture mais des conseils exigeants et bienveillants de vie. Puis il ose la question essentielle à se poser pour un poète : pourriez-vous vivre sans la poésie ?

Le sentimentalisme pour le metteur en scène palme d’or à Cannes Michael Haneke  « c‘est le fait d’exprimer des émotions qu’on ne ressent pas ». Quand on commence à écrire des poèmes, on n’a pas bien sûr à répondre à la  question de Rilke. J’ose cependant décliner de cette question un premier conseil. Pour qu’un  poème propose une émotion vraie, c’est-à-dire un mouvement, et ne tombe pas dans le sentimentalisme insincère, Il faudrait  suivre le conseil de Guy Chambelland, poète et éditeur contemporain qui m’a marqué, qui était d’essayer de n’écrire qu’en état d’authenticité.

Là, on touche à une vérité poétique qui fait que la poésie est en deçà et en delà de la religion et de la philosophie, une façon d’être. Plus tard, beaucoup plus tard, il sera temps de se demander s’il y a une fonction du poète parmi les hommes et si l’humanité peut vivre sans poésie.

La poésie, c’est un genre littéraire qui demande du travail.

Cela posé, c’est comme l’amour dans l’éducation par les parents, l’authenticité, c’est essentiel et ça ne suffit pas ! L’émotion du poème, si on décide d’avoir des lecteurs, il faut la leur  faire partager. On a plus de chances d’y arriver avec un peu de travail. Le premier critique du poète, ce doit être le poète lui-même. Il doit oser se distancier de son écrit. Mon ami et poète, Jean Breton , disait qu’on ne devait pas hésiter à regarder son poème de haut, prendre vis-à-vis de lui l’air goguenard.

Donc, son poème, on le laisse reposer… et après décide si on peut l’améliorer. Même chez ceux qui aiment utiliser l’anaphore  (répétition  volontaire d’un mot ou d’une expression) on se méfie en poésie de la redondance.  Donc souvent ce travail consiste en un allègement. C’est souvent un retrait, un remplacement voire un remaniement du poème entre ses différentes parties. Allan Ginsberg un des leaders de la Beat Génération avec Jack Kerouac se le permettait avec de jeunes poètes. Il ne changeait pas un mot mais leur proposait un poème meilleur avec un autre découpage.

Mais attention le poème vient de soi si on retire trop, c’est qu’on n’assume pas et autant retourner à la page blanche.

Un beau poème peut venir d’une saine indignation, d’une colère, d’une passion, d’un chagrin, d’une joie, d’une émotion paisible, d’un presque rien. Dans tous les cas  on peut commencer par se méfier du « trop d’intention » qui tue ou abime beaucoup de poèmes. Là encore, c’est l’authenticité le bon diapason.

Kant, le philosophe écrivait qu’en art ce qui importe, « ce n’est pas de montrer des choses belles mais de regarder les choses bellement ». En poésie tous les mots ont le droit de cité. Autant éviter  ce qu’on nomme les clichés mais aussi le mot rare placé pour le seul plaisir du mot rare. Surprendre c’est bien mais  obliger le lecteur à se sentir ignorant ça  va un peu mais pas trop. Chercher un mot dans le dictionnaire c’est stimulant. S’il faut en chercher un par phrase, le risque c’est que  lecteur, on préfère  le dictionnaire !

Pour ce qui est de la rime, il ne faut pas oublier qu’au départ, elle est là pour aider à la mémorisation du poème. Ensuite, elle sera accompagnée des règles qui accompagnaient les vers et la composition du poème lui-même. La chanson continue à l’utiliser et  les poètes de moins en moins. Aujourd’hui Le vers est libre, ce qui n’interdit pas de chercher une musicalité, si on le désire.Il reste aussi des outils au poète  telles les figures de style. La première étant la métaphore. Pour Aristote, c’était le premier outil du poète en tant que comparaison avec les choses de la nature. Attention la métaphore  ne fait pas le poème, c’est un outil et si elle évite au poète, les comme et ainsi que elle ne doit pas être forcée, lourde, inutile.

Après les premiers poèmes  il faut trouver le véhicule qui convient à sa propre expression. N’écris pas des poèmes courts ou longs qui veut ! Il y en a qui sont doués pour l’un ou l’autre et d’autres pour les deux suivant leur humeur, leur projet. Un poème long peut entraîner par son souffle quand un autre semblera une grosse tartine indigeste. Un poème court , tel un haïku réussi peut amener une émotion subtile et prolongée quand un autre raté semblera une petite biscotte sans goût.

Il ne faut pas craindre les influences. L’écrivain est d’abord un lecteur. C’est ma conception profonde. Les poètes doivent lire les poètes, ceux d’hier et d’aujourd’hui. C’est aussi par la diversité de leurs écritures qu’on peut trouver la sienne propre. Chaque poète qui nous touche nous dit quelque chose de nous.

On peut craindre la banalité, sans refuser les lieux communs : la mort, l’amour, la célébration de la nature ou au contraire celle de la ville. En art, il faut avoir un regard propre pour être universel. Mais là encore, il faut faire attention. Julien Gracq écrivait, dans à sa préface d’une réédition de Poissons solubles, d’André Breton, qu’il fallait se méfier autant de la copie que de l’obsession du « est-ce bien moi » ?

Dans les quelques conseils que j’ai osé donnés et que je n’ai pas hésité à emprunter, on voit que tout ici est question d’équilibre. Dans le poème, cet équilibre est subtil, et il résulte autant d’une intuition que d’un regard lucide.

Bref, pour résumer : Authenticité. Lucidité. Travail.

André Prodhomme

André Prodhomme

André Prodhomme

André Prodhomme est né à Paris en 1949.

Partageant la vie de 27 autistes de 1992 à 2006, il a témoigné de sa triple expérience d’éducateur, de dirigeant, de poète dans la revue des CEMEA, VST (Compétences collectives et projet pour autiste, n°87, Le Gamin de Paris, figure de la Réhabilitation, n°94, laicité(s) et éducation spécialisée, n°100) ainsi que dans l’ouvrage collectif Passeurs d’humanité, Erès 2008.

Avec, l’association de poètes, l’Arche 23, il anime des rencontres au service de la poésie contemporaine.

Présent dans différentes revues et anthologies, il est l’auteur de sept recueils de poésie, dont L’innocence avec rage, Les Hommes sans épaules, 1996, Il me reste la rivière (Librairie-Galerie Racine, 2009).

Son disque L’émeute, dit par le comédien Philippe Valmont avec les improvisations du pianiste Laurent Epstein (Éditions du Vertige et Librairie-Galerie Racine, a obtenu un Coup de Cœur 2010 de l’Académie Charles Cros dans la catégorie Parole enregistrée).