Entrevue avec Frédéric Joffre

1) On parle souvent d’identité visuelle, de quoi s’agit-il ?

C’est très exactement ce que cela veut dire : l’identification d’une institution, d’une entreprise, d’une prestation de service par une image ou plus exactement par une combinaison d’éléments visuels. Au nombre desquels le logotype (monogramme ou mot), la typographie (la police qui sera utilisée sur tous les supports de communication) et la palette de couleurs qui va servir de marqueur. C’est l’utilisation coordonnée, harmonieuse et récurrente qui fait qu’une identité visuelle est réussie… ou pas. Et donc à terme, qu’on verra bien, peu ou pas du tout l’entreprise, l’institution, etc. Les entreprises ou toute autre structure qui utilisent une identité visuelle ont la fâcheuse tendance à vouloir en changer tous les 3 ans (j’exagère à peine) par souci de nouveauté. C’est une erreur, une identité visuelle ne s’installe durablement dans le paysage communicationnel que sur le long terme en utilisant de manière systématique les éléments qui la composent. Cela dit, une identité visuelle doit évidemment évoluer, ce que je fais avec Poésie en liberté.

2) Depuis plusieurs années, tu es le graphiste de Poésie en liberté, peux-tu nous expliquer comment tu en as créé, justement, l’identité visuelle ?

Les poètes jouent avec les mots, moi je joue avec l’image des mots. Dans notre culture occidentale, la typographie est le vecteur principal de transmission du savoir, des idées que les supports soient physiques (livres, affiches) ou numériques (tout l’univers digital). Même si une poésie peut être lue en public, il n’en reste pas moins qu’elle est tributaire de l’imprimé ou du moins de sa composition en lettres sur un écran quel qu’il soit. C’est pourquoi, initialement j’avais composé le mot poésie avec plusieurs lettres différentes (mécanes, antiques, anglaises) comme un hommage à toute la poésie passée et à venir (avec des typos contemporaines), puis je lui ai associé un porteplume aérien (au départ, la poésie c’est de l’écriture non ?). Deux ans après, j’ai greffé ce porteplume sur un papillon pour lui donner encore plus de légèreté, de liberté. Dans la dernière édition de l’affiche 2019, j’ai conservé le papillon mais j’ai fait évolué les choix typographiques pour faire avancer l’identité visuelle. Être dans le mouvement graphique tout en conservant des critères visuels aisément reconnaissables, voilà comment on conserve une bonne identité visuelle.

3) Pourquoi as-tu accepté de travailler pour Poésie en liberté ? Comment perçois-tu ce concours ? A quoi es-tu le plus sensible ?

J’ai rencontré Jean-Marc Müller il y a 6 ans par l’intermédiaire de Matthias Vincenot. Obligé de faire appel à des graphistes différents chaque année par le biais de concours scolaires, ce qui en termes de rigueur et d’efficacité n’était pas la meilleure des solutions, il recherchait un graphiste sur qui il puisse compter de manière récurrente et qui puisse « épouser sa cause ». J’étais preneur et comme disait Montaigne à propos de La Boétie : parce que c’était lui, parce que c’était moi… Et je suis heureux de contribuer au rayonnement international de la langue française par le biais de ce concours à nul autre pareil.

4) Lorsque tu apportes des conseils, comment vois-tu ton rôle ?

Je reprendrai ce que j’affirme dans ma profession de foi (sur mon site internet notamment) :
« Le graphiste aujourd’hui, a changé d’outils et de supports, mais pas de méthode : la création d’un logotype, d’une affiche, d’un magazine, d’un site web ou d’un quelconque univers graphique implique un profond travail de réflexion. Associer contenu, contenant, sens, compréhension et esthétique n’est pas un simple remplissage de champs prédéterminés. Et c’est précisément ce travail qui fait la différence avec les productions graphiques standardisées.»

5) Est-ce que tu travailles différemment lorsqu’il s’agit d’art en général, de poésie en particulier, ou bien s’agit-il de la même démarche ?

Fondamentalement non, comme je crois que l’explicite clairement ma réponse précédente.

6) De façon plus générale, ton travail est celui d’un artiste. Peux-tu nous expliquer comment tu le conçois ?

Ça c’est la question qui fait débat en permanence dans la profession depuis qu’elle existe. Personnellement, je ne me considère pas comme un artiste. Je ne suis pas l’auteur du message à transmettre, je n’en suis que le vecteur, le metteur en forme. Les graphistes qui affirment le contraire manquent de modestie. Il faut alors, peut-être rechercher la dimension artistique dans le style que je développe, dans ma signature visuelle. Mais elle n’est pas nécessairement identifiable à chaque fois. Souvent, la problématique visuelle à laquelle on doit trouver une réponse vous entraîne sur une solution bien éloignée de ce qui fait a priori votre «style » et c’est très bien comme ça.

7) Une petite question plus personnelle pour finir : que penses-tu des poèmes lauréats de Poésie en liberté que tu lis ?

Je reste assez bluffé par le talent de tous ces jeunes auteurs (notamment ceux de langue étrangère, chapeau !). On trouve dans ces textes, ironie, humour, tendresse, lucidité, émotion. Les poèmes sélectionnés sont surprenants, étonnants, intrigants, jamais décevants… C’est là, du reste, que je réalise le difficile travail du jury chaque année.