Février 2017 – Christophe Lamiot Enos

Anthologie progressive

Christophe Lamiot Enos, né le 18/12/62 à Beaumont-le-Roger, vit  son enfance et son adolescence à Pont-Audemer et habite aujourd’hui à Paris après quatorze années passées aux Etats-Unis d’Amérique à enseigner la littérature française.   Le 1er janvier 1981, il est victime d’un gravissime accident automobile qui lui impose aujourd’hui un statut de handicapé et une rigoureuse discipline d’écriture et de recherche en sciences humaines.  Deux essais parus en 1997 et 1999 (Eau sur eau, Rodopi, Amsterdam ;  Littérature et hôpital, Sciences en Situation, Paris) annoncent plusieurs récits en poèmes, dont en 2000, 2003, 2006 et 2010 Des pommes et des oranges, Sitôt Elke, Albany et 1985-1981 (Flammarion, Paris), récits dans lesquels, déjà, l’anglais et le français se mêlent.  En 2013 paraît au Royaume-Uni un ouvrage tout en anglais, The Sun Brings (Corrupt Press).  L’écriture de Christophe Lamiot Enos a retenu l’attention des commentateurs pour, entre autres, son souci du détail, l’élaboration formelle, la musicalité et le travail sur la mémoire.  Père de deux enfants, il occupe un poste de maître de conférences à l’université de Rouen, pour laquelle il a créé et maintenant dirige une collection de poésie américaine contemporaine aux Presses Universitaires de Rouen et du Havre, intitulée « To/Jusqu’à», fait partie du laboratoire « Passages XX-XXI » de l’université de Lyon 2 en tant qu’américaniste et collabore régulièrement à plusieurs revues.  Ses travaux paraissent dans des anthologies, tant en France qu’à l’étranger.

Poème

La vieille ville, devant.

La vieille ville, le soir.

Par une tour, s’élevant.

Ville, ville, te revoir

depuis de l’eau, un couchant.

Ville dressée, pour mémoire.

Le perdu, trouver, autant

que vieille ville, le soir

illuminée, se dressant.

De la ville, tel avoir

ces feux.  Dans le mouvement.

Comme par le rêve :  y croire.

Vieille ville, ce devant

de l’eau levant, dans le soir.

Vieille ville, empierrements.

 

 

Ou bien avoir, droit devant

dans le non pas loin, mais proche

plus proche qu’apparemment

la construction qui accroche

désir, souterrainement—

Nous éclairant, de la roche.

Avoir, avec soi, portant

comme une tour qui rapproche

de ces feux, en nous, brûlant

à voir, en première approche—

S’y dresser, soudainement

flammes, mouvant que raccrochent

l’eau les lumières, venant

depuis la nuit comme roches

où demeurons, ô, longtemps.

 

 

 

Telle scène, apaisement

il convient de retenir.

Son agir, son mouvement

occupent le souvenir

le constituent.  Revenant.

Matrice du « revenir ».

La scène, son déploiement

de circonstances :  tenir.

Tient à ceux qui, la voyant

s’en tiennent mieux, la désirent

dans le renouvellement—

De ce qui, revient, nous tire.

Perspective s’enfuyant

oui—Aller, tout à loisir

aller, oui, par l’ « enfuyant ».

 

 

La surprise surprenant :

considérer les lumières

feux de l’intérieur, vraiment.

Puis la connaître requiert

surprise, là, surprenant

le rebâtir pierre à pierre

de cette scène, au-dedans

comme au-dehors.  Que rivières

y passent, dynamisant

lieu et moment.  Les rivières

où des mots viennent, aidant

à traverser, comme pierres

surprise, le surprenant

l’humble apportent, que le fier

renoue, en nous, fortement.

 

 

 

O, écoute, agir, parlant

ô, jeune, vieux, ô, en frère

telle Image revenant

telle, que partageons terre

que partageons, ô, vraiment

notre condition, les mers

les pauses, dans leurs suspens

les courants, ce qui les perd

de l’humble, par humblement—

Tenons-nous, tenons à l’air

qui entretient le vivant

situation si précaire

à laquelle, cependant

tous vont et, ardeurs, s’affairent

à écrire, feux brûlant.

 

 

 

O, écoute, agir, parlant

la nuit, le sombre, alentour

en frère, nuit, nous parant

trouées, oublis, en atours

ce qui appelle, appelant

écoute, comme la tour

écoute, sans bruit, longtemps

sans plus de bruit, qu’à son tour

clapote l’eau nous berçant—

O, musiques, fruits, entourent

nous entourent, tous, dressant

notre attention, carrefours.

O, écoute, agir, parlant

multiplie oreilles pour

le presque-muet, non-violent.

 

O, écoute, agir, parlant

ce qui nous vient, qu’il faut croire

en surprise, étonnamment :

ce que tu cherches, miroir

voici toi, étrangement

dans le petit, le revoir—

Qu’il nous faut, absolument

pour y croire, pouvoir voir

pouvoir revoir, y brûlant !!!

Au petit, au faible, croire

aux détails disparaissant

avons-nous tant nos avoirs !

Ainsi voue l’agir, parlant

à vie, au respect, au croire

de l’écoute—Au non-violent.

 

 

 

A paroles, se levant

ô, Wolinski, ces lumières

ô, Cabu, tous, éclairant—

Paroles vont, en rivières

portant paroles, courants

qui parlez à travers pierre—

O, assassinés, dedans

qui s’anime, nous requiert

en nous, demeurez, longtemps—

Pour vous flotte la lumière

à vous, en nous, longuement

de l’ « avec », telle lumière—

Une jeunesse, portant

un outil contre la pierre

contre ses emmurements.

 

 

 

A nous, viennent, revenants

à nous viennent, dans le dur.

Viennent, reviennent, venant.

Reviennent, à nous, qui durent

à nous, en rangs, revenants

en rangs, dans le dur, perdurent

leurs rangs, à nous, revenant.

Qui parlent, nous parlent, sur

ce retour, d’emmêlements

« nous » et « souvenir ».  D’allure

à la fois de vif, de lent

de l’instant, de ce qui dure :

la longue file, éclairant

des revenants, sur ces murs

dressés, en face, devant.