Conseils de Colette Nys-Mazure : Présidente du Jury 2017
Poésie en liberté. Suggestions.
La vie poétique, j’y crois (Bayard, 2015)
A chacun son chemin, à chacune sa voie, à tous la quête patiente de sa propre voix poétique. Je ne donne pas de conseils, je tente de partager ce que je vis. Pour moi vivre-lire-écrire ne forment qu’un seul mot. Autrement dit j’écris comme je respire et je ne puis écrire sans lire. Le fait de lire et d’écrire aiguise ma passion de la vie. J’écris mieux parce que je lis beaucoup et parce que je suis poreuse à tous les aspects de l’existence. Je lis mieux parce que je discerne l’élan et le travail de l’écriture chez les autres.
Je vais, tous sens aux aguets. Rien ne me semble insignifiant. Aucun détail d’un paysage ni d’un visage. J’aime les villes et j’aime la mer nue à l’aurore. Je scrute l’herbe et les feuillages. Je tremble aux hurlements des ambulances striant les rues. Je respire jusqu’à l’ivresse le parfum des jacinthes dont je suis l’éclosion. Je mâche longuement le pain cuit par un de mes fils. Je touche la peau du jour neuf avec un étonnement jamais usé. Pêle-mêle.
La vision poétique est plus vaste que la seule expression poétique.
Pas un jour sans un poème
En toute circonstance, j’ai de quoi écrire – ne serait-ce que mon ticket de métro – car il y a ses bonheurs de mots qui ne repassent plus.
Un musicien fait ses gammes quotidiennes, le sportif s’entraîne chaque jour, mois aussi j’écris comme je vis au jour le jour.
Je rentre de courses en ville, j’ai saisi chaque détail de mon itinéraire, et j’ai dévidé les noms des personnes que je connais derrière les façades ; mon cœur les saluait. Qu’est-ce que cela a à voir avec le poème ? Tout ! Les mots de cette langue maternelle qui m’est si chère me montent tout naturellement à l’esprit, aux lèvres, aux oreilles.
Issus d’une émotion, d’un rêve obsédant, d’une musique, d’une colère, d’un désir, ils affluent et me submergent jusqu’à ce que j’aie pu les fixer, provisoirement, car je retravaille beaucoup et souvent mes poèmes.
Je laisse venir sans opérer de sélection, je n’entrave pas la liberté de ce qui veut se dire sous cette impulsion/inspiration. Je laisse reposer. Je vais lire de poètes très étrangers à ma propre sensibilité, à mon écriture ; je vais voir des films poétiques tel Paterson, des expos créatives et je me sens renouvelée, élargie.
Je reprends le poème, je le débarrasse de tous les parasites, des complaisances et des facilités.
S’il s’agit d’un ensemble poétique, je tente de trouver les charnières, les glissements en kaléidoscope.
Sous toutes les formes
J’aime les formes fixes et les rimes : la ballade, le sonnet, le pantoum, le slam, le rapp, la chanson du moyen-âge à nos jours. Tant d’amis poètes de tous les temps se pressent dans ma mémoire et me nourrissent, mais je ne crois pas que ces contraintes formelles s’imposent aujourd’hui. Je ne porte pas de crinoline ni de hennin mais des vêtements aisés à vivre au vingt-et-unième siècle.
Néanmoins j’observe que, depuis quelques temps, j’adopte volontiers le quintil, le quatrain, le tercet ; je multiplie les rimes internes parce que la musique, le rythme m’entraînent aussi bien que les images.
Donc croire en la puissance poétique qui désarme, dénonce, célèbre ; lire les poèmes d’hier et d’aujourd’hui, les apprendre par cœur pour les incorporer, écrire chaque jour.
Lire à haute voix ce qu’on a écrit, éventuellement fréquenter des ateliers d’écriture de qualité pour découvrir ses ressources et entendre résonner son poème chez les participants. Réécrire modestement, résolument ; vivre encore et toujours au plus haut, au plus vif.
Tout cela, j’ai tenté de le partager dans La chair du poème, petite initiation à la vie poétique (Albin Michel)
Colette Nys-Mazure 21 janvier 2017
Anthologie poétique Feux dans la nuit Les Impressions Nouvelles, collection de poche Espace Nord
Prix Max Pol Fouchet de poésie pour Le for intérieur
Prix Joachin du Bellay, 2015 pour l’ensemble de son oeuvre