Blog du Président

« Ici et maintenant » : autour de la poésie, le débat est récurrent de savoir si le poème plus que toute autre forme littéraire peut prétendre à un rapport particulier avec la réalité, à une sorte de détachement, à une tour d’ivoire, à la solitude impavide du stylite.

C’est oublier que les stylites, ces sages perchés perpétuellement au sommet d’une colonne, ont sans doute constitué le premier réseau internet de personne à personne dans l’histoire humaine.

Nombreux étaient les pèlerins avides de sagesse qui s’arrêtaient au pied de la colonne pour leur demander conseil.


Le stylite confiait à cette occasion des messages par le truchement de leurs visiteurs à d’autres stylites : le pèlerin comme le poète n’arrête jamais sa divagation et va consulter ailleurs auprès d’autres sages une lumière nouvelle … un jour ou l’autre. Ce n’est pas aussi rapide que le clavier instantané du moderne réseau social. Mais ces hommes avaient l’éternité devant eux.

Ainsi une toile de sagesse et de savoirs confrontés, laissant le temps au silence et à la  méditation,  se tissait à travers le monde civilisé au vu et au su de tous ceux qui cherchaient à comprendre les dieux et les hommes.

Nous donnons à cette aire de civilisation le nom étrange de monde connu, par un de ces étonnants détournements subjectifs. Nous le croyons surtout connu de nous : en fait il était d’abord connu de lui-même du haut des colonnes qui trouaient sa géographie. N’est-ce pas l’effort décisif de Socrate, l’interrogateur perpétuel, qui demande de se connaître soi-même ?

Ainsi ceux que l’on croyait les plus détachés des choses de ce monde étaient sans doute inscrits le plus concrètement dans les réalités de leur temps : hic et nunc, ici et maintenant.

Les poètes ne sont pas moins stylites qu’eux. Et dire qu’on les prend souvent pour les ordinaires stylistes de l’art pour l’art.