Juillet-Août 2013 – Daniel Leuwers

Anthologie progressive

Né en 1945 à Beaumont-sur-Oise (France), Daniel Leuwers, après une longue trajectoire de critique littéraire (des ouvrages sur Rimbaud, Jouve, Char et la poésie contemporaine), n’a commencé de publier des plaquettes poétiques qu’en 1996 (La Vie cassée, Editions des Moires, et une dizaine d’autres, plus tard, dont Morsure, L’Amour désaiméL’Amour pourtant, Poèmes couchés). Il est aussi l’auteur de « carnets »: Australia ou le pays rouge, Surimpressions d’Afrique et Le Voyage immobile).

Il a lancé en 2002 une collection de « livres pauvres » qui unit poètes et peintres (Richesses du livre pauvre, Gallimard, 2008, et Les Très Riches Heures du livre pauvre, Gallimard, 2011, en témoignent) et il a réalisé lui-même beaucoup de livres d’artistes avec des peintres comme Arnal, Badaire, Badin, Baltazar, Leick, Le Saëc, Soulié, Steinberg, Velickovic, Viallat.

Poème

QUATRE POEMES SUIVIS
1. LE OUI ET LE NON

« Le oui, le non immédiats, c’est salubre en dépit des corrections qui vont suivre »
René Char Contre une maison sèche

C’est donc non à la plainte ancienne
car je suis tout ouïe de la vie qui recommence
-de l’amour que je puise
(après assèchement)
dans ses jambes de guêpe
Et je me pique au jeu de la vie
(nouveau, soudain)
et j’entre dans la cabine du ferry
qui nous mène là-bas
le coeur battant
le coeur ballant
et ça cogne dans l’enceinte
quand le ciel emmaîllotte  ma force
qui défaille
Mais les verrues de l’âme
aiguisent la soif des lamantins

2. POUR ALLER OU?

« Jambes de guêpes assassines portant l’entaille »
Pierre Jean Jouve Lyrique

Moi, j’aime tellement que le jour m’appelle
et le soleil qui m’exalte
-et je cours dans la ville dont j’aime
les terrasses protégées
où la beauté des femmes me fait penser
à la mort
qui s’en va
qui se  cache
tant l’élan de la vie nous surprend
comme serpent
aux délices indécents
et les ceintures se délacent
et, grande près de ma lampe,
elle vient, son sexe nu,
me chercher
Pour aller où?

3. L’AMOUR AMPHORE

« La lettre-océan n’a pas été inventée pour faire de la poésie.
Mais quand on voyage quand on commerce quand on est à bord on envoie des  lettres-océan.
On fait de la poésie »
Blaise Cendrars Au coeur du monde

Moi je ne sais ce que je veux des mots
les triturer
les arracher au réel
les rendre clairs
trop clairs
comme l’obscur qui nous guette

Moi je jette ma lettre dans l’océan
néant
et je regarde la belle passagère
sur le pont
éclatante
et qui soudain se jette dans le vide

Ses lettres flottent sur l’océan

L’amour est une amphore
qui engloutit la mort

4. HAUTS FONDS

« Je ne suis pas adroit, je suis droit »
Armand Robin Ma vie sans moi

J’espère en la mer
en son mouvement
son bruit qui nous relance

mais pourquoi cette sonnerie
au milieu de la nuit?

La mer déjà s’éclipse
son silence est complice

Toi tu te jettes dans la mer
pour oublier ton intime faiblesse
et tu sais qu’ils te feront mourir
si tu ne te protèges
du doux racisme des irrascibles

Nous ne sommes pas adroits
nous allons droit
dans les hauts fonds
qui troublent Popenguine.