Mars 2011 – Jeanine Baude

Anthologie progressive

Jeanine BAUDE

Elle naît dans les Alpilles, un matin de feuilles rousses, à l’heure de l’Angélus. Aujourd’hui, elle vit à Paris. Elle aime à dire « j’écris avec mon corps, je marche avec mon esprit » de même que « je commets le délit d’écriture » ainsi explorer l’indéfinissable champ de la page, du corps et du monde.

Dernières publications, Poésie : Le Chant de Manhattan (Seghers, 2006) Juste une pierre noire (Bruno Doucey, 2010) ; Prose : Le Goût de Buenos Aires (Mercure de France, 2009)

Elle collabore à de nombreuses revues littéraires européennes et étrangères.

Poème

Le bureau, le rivage.
Y a-t-il une limite à ce corps, à cette table où tu écris ? Y a-t-il un instant de repos, de répit ? Devant l’usure du monde, sa défaite. Trouble et troublante, la peur. Les doigts gourds sur la page.  La saignée, non le lait, venue de la poitrine. L’enfant perdu.

Ouvre le vaste. Au-delà. Ne crains pas. Ta misère ne serait que signes confus. Que parcelle de toi, humain. De ta figure noble.

De la mer tire ta résonance comme galets roulent et frappent sous l’écume. La falaise creusée, les trous de la mémoire t’emportent comme vents déferlent et traces résistent dans ta nuit.

L’écran d’un futur dévasté, ta lutte face à face. Tu regardes cette main qui écrit, celle du laboureur d’idées, celui qui parcourt tout le champ des possibles.

Métamorphose. Tu gîtes comme navire. Tu rassembles.

Un rire d’eau te maintient. Et sueur perle à ton flanc. Celles des courbes. Tu caresses.

L’exil n’habite plus ton lit, ta demeure. Geindre serait mourir. La page te façonne. Tu traverses.

Océan, le défi pour durer. Le bureau, le rivage.

Habiter une planète de signes. Comme firmament, étoiles. Source dans le fracas des rocs ressurgit, apaise, dompte le feu, l’épouse dans le clair d’un ventre qui s’ouvre, donne la vie.

Les feuillets épars deviennent folioles, étranges fruits, arbres levés.

Tu cognes aux temps futurs. Paroi millénaire. Assise en tailleur sous la voûte. Tu parles aux anciens, aux pierres dressées, aux courants.

Rien de ta vision ne s’efface. Le sel sous le sable tient. La lente dérive des landes n’obscurcit pas sa lumière.

Femme, ô femme,
dans l’ailleurs et l’ici, rejoins ta démesure

Jeanine Baude (inédit 2011)