Conseils d’Adeline Baldacchino : Présidente du Jury 2019

Poésie en liberté 2019

La poésie comme la magie

La poésie n’est pas affaire de règles ni de conseilleurs. J’aurais donc surtout envie de vous inciter à pratiquer les promenades solitaires dans la nature, à multiplier les foudroyantes rencontres de l’amour et de l’amitié, à expérimenter les tendres « délices du vivant » dont parlait un poète trop méconnu, Louis Emié.

D’ailleurs, nous y sommes : s’il devait y avoir un principe à garder en tête pour écrire de la poésie, c’est qu’en lire beaucoup vous procurera mille plaisirs tout en vous évitant de céder à la facilité et de croire réinventer la langue alors qu’on est toujours l’héritier d’une longue histoire du désir poétique. Ce n’est pas facile, évidemment, de se repérer dans un monde poétique si varié que vous ne saurez jamais à l’avance où vous mettez les pieds. Mais justement, amusez-vous à perdre des après-midis en bibliothèque ; et quand vous achèterez des livres, commencez par des anthologies pour vous familiariser avec l’immense diversité de ce monde – tenez, par exemple, celle de Max-Pol Fouchet, un autre inclassable qu’on ne pense pas assez à feuilleter.

On pourrait aussi se parler des textes des poètes sur la poésie (Pierre Reverdy dans Cette émotion appelée poésie, Jules Supervielle dans son Art poétique, Roger Caillois dans Les impostures de la poésie, Andrée Chedid dans Terre et poésie ont dit des choses magnifiques, par exemple) mais le mieux serait encore que vous les redécouvriez par vous-même.

L’essentiel d’une vie poétique, qui sera toujours plus important que la poésie elle-même en tant que forme, c’est le vagabondage de la curiosité, l’émerveillement renouvelé devant la beauté.

Néanmoins, si vous avez envie d’écrire de la poésie, si vraiment vous en avez plus envie que d’écrire un roman, une lettre ou un scénario ; si vraiment cela vous prend au ventre en vous tordant l’âme, et qu’il y a des joies et des douleurs que vous ne savez pas traduire autrement que par un poème ; alors oui, et alors seulement : foncez.

Vous tâtonnerez. Vous expérimenterez. Vous oserez à peine donner à lire vos textes à d’autres, et pourtant c’est là que commence la grande joie du partage. Vous hésiterez, en vous demandant si vous êtes « légitime », si vous en avez le talent. C’est normal et plutôt bon signe. Et vous ne le saurez jamais tant que vous n’aurez pas tout tenté, tout donné pour le savoir.

Une chose encore : l’intensité. C’est important, l’intensité. Ce qui vibre sous la peau des mots, entre les lignes. Ce qui fait leur musique, leur singularité totale, le fait que leur assemblage ne ressemble à rien d’autre. Si vous suivez à la trace votre intuition de l’intensité, que vous vous autorisez à porter la plume là où ça fait le plus mal ou le plus grand bien, là où il se passe quelque chose que vous ressentez comme inouï, alors oui, vous approcherez des parages de la poésie.

La poésie n’est pas non plus affaire de rimes ni de rimailleurs. On rime si on veut, si on peut. Mais avant tout, on éprouve, et puis l’on tente de raconter à d’autres, avec des mots aussi justes que possibles, accordés à la violence des instants ou à la douceur des caresses, ce que l’on a éprouvé.

Ce qui ne signifie pas qu’il suffirait de se regarder le nombril. L’aventure commence de l’autre côté de la vitre, dans le monde qui vous échappe et auquel vous apprenez à vous frotter. C’est toujours dans la rencontre, entre soi et tout le reste – les oiseaux et les êtres, les arbres et le vent, la chair et son ombre – que s’opèrent les grands miracles de la parole.

Songez à cette chose étonnante : un regard va se poser sur vos mots. Votre voix va silencieusement murmurer à l’oreille d’un inconnu. Vous aurez traversé le temps et l’espace en inventant des images qui s’imprimeront silencieusement dans les yeux de votre lecteur.

Et dire qu’il ne tient qu’à vous de devenir ce magicien !
Crédit : Laura Stevens

Adeline Baldacchino

Adeline Baldacchino est née en 1982 près de Lyon et vit actuellement à Paris. Elle mène une double vie de magistrate et d’écrivain. Publiant de la poésie depuis 1999, elle s’attache aux grandes figures de « passeurs », tels Max-Pol Fouchet à qui elle a consacré une biographie (Le feu la flamme, Michalon 2013). Ses deux derniers recueils de poésie, 33 poèmes composés dans le noir (pour jouer avec la lumière) et 13 poèmes composés le matin (pour traverser l’hiver) sont parus aux éditions Rhubarbe. Elle anime régulièrement des rencontres et séminaires autour de la poésie contemporaine. Elle est aussi essayiste et romancière (Celui qui disait non, paru chez Fayard en 2018). Enfin, elle collabore régulièrement au magazine Ballast et tient un blog personnel.